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« La fonction publique en Nouvelle-Calédonie et le juge constitutionnel », par Gilles Especel

1. La Nouvelle-Calédonie détient la compétence normative en matière de fonction publique locale.

L’état du droit est relativement complexe du fait de l’éclatement des textes et des statuts régissant la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et des communes.

Quant aux agents contractuels, la situation est rendue bien délicate par l’inapplicabilité, en Nouvelle-Calédonie, de la jurisprudence BERKANI (Trib. Conf., 25 mars 1996, n° C 03000) distinguant les agents de droit privé ou de droit public selon la nature du service public qui les emploie.

Il faut dire que l’ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985 modifiée relative aux principes directeurs du droit du travail qui s’appliquait localement n’était pas d’une grande clarté quant à son champ d’application.

Bien des situations individuelles qui aurait relevé, en France métropolitaine, du régime de droit public, étaient régies par le droit du travail en Nouvelle-Calédonie. (Trib. Conf., 05 mars 2012, C 3825).

Pour sa part, le Code du Travail de Nouvelle-Calédonie institué en 2008 s’applique par principe à tous les employeurs, privés comme publics, et régit toutes les relations contractuelles de travail, à l’exception de quelques fonctions énumérées à l’article Lp. 111-3 (secrétaire général, secrétaire général adjoint, directeur, directeur adjoint, chef de service de la Nouvelle-Calédonie, directeur d’office, directeur d’établissement public de la Nouvelle-Calédonie) ou des statuts particuliers de la fonction publique. Ce même article exclut les fonctionnaires détachés auprès de la Nouvelle-Calédonie du champ d’application du Code du Travail.

Une grande partie des agents contractuels (environ 13.000) relève ainsi du droit commun du travail, sans que cette qualification soit justifiée ou adaptée (pour les employeurs comme pour les agents) à l’environnement administratif dans lequel ils évoluent.

Il tenait à cœur au législateur calédonien, dans le cadre du chantier de la réforme de la fonction publique locale en gestation depuis quelques temps, d’instituer un véritable régime pour les agents contractuels de droit public.

2. L’un des piliers de ce chantier est la loi du Pays relative à la fonction publique adoptée par le Congrès le 13 janvier 2021.

Une première délibération était intervenue en 2019 et une deuxième délibération fut sollicitée, conformément aux dispositions de l’article 103 de la loi organique n° 99-209 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie.

La loi du Pays a ensuite été déférée, sur le fondement de l’article 104 de la même loi, au Conseil Constitutionnel par le président de l’assemblée de la Province Nord pour un certain nombre de motifs.

Par sa décision n° 2021-7 LP du 1er avril 2021, le Conseil Constitutionnel prononce une réserve et déclare une disposition de la loi du Pays contraire à la Constitution.

3. Il est intéressant à bien des égards de mettre cette décision en perspective de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2014-4 LP du 21 novembre 2014 portant sur la loi du Pays relative à l’accès à l’emploi titulaire des fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie, qui déclarait onze articles contraires à la Constitution.

4. Les présentes observations n’ont cependant pas d’autre prétention que de souligner deux points.

a) En premier lieu, le texte de 2021 prévoit la faculté de recruter un agent contractuel pour une durée indéterminée sur un emploi permanent, à la condition que le candidat justifie avoir précédemment exercé, sous un contrat à durée indéterminée, un emploi du secteur public ou du secteur privé relevant d’un domaine d’activité en rapport avec celui du poste à pourvoir.

Le Conseil Constitutionnel fustige cette disposition en retenant que « l’aptitude d’un candidat à occuper un emploi public ou sa capacité à répondre au besoin de l’administration pour ce poste ne dépend pas du caractère à durée indéterminée ou non du contrat qui le liait à ses précédents employeurs privés ou publics. »

La différence de traitement est déclarée contraire à la Constitution pour méconnaissance du principe d’égalité.

b) En second lieu, le principe d’égalité réapparaît sous le thème du soutien à l’emploi local.

L’Accord de Nouméa sacralise le principe de préférence locale en matière d’emploi.

Ce principe a été intégré dans la loi organique n° 99-209 dont l’article 24 habilite le Congrès à fixer ses modalités d’application.

Cette dérogation au principe d’égalité a été validée par le Conseil Constitutionnel en 1999 (décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999) et mise en œuvre par la loi du Pays n° 2010-9 du 27 juillet 2010 relative à la protection, à la promotion et au soutien de l’emploi local.

La loi du Pays de 2010 a inséré une disposition spécifique dans le Code du Travail (l’article Lp. 451-2).

En 2014, le Conseil Constitutionnel avait relevé l’absence de mise en œuvre du principe de préférence locale dans la loi du Pays relative à la fonction publique et retenu, à ce titre, un vice de constitutionnalité : « Considérant que les dispositions contestées ne comportent aucune disposition favorisant l’accès à l’emploi dans la fonction publique au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d’une durée suffisante de résidence ; que, par suite, elles méconnaissent le principe de préférence locale pour l’accès à l’emploi en Nouvelle-Calédonie consacré par l’accord de Nouméa ».

Le Conseil Constitutionnel jugeait ainsi que le principe de préférence local consacré dans le Code du Travail ne s’appliquait pas de plein droit aux fonctionnaires.

En 2021, la saisine de la province Nord visait notamment l’absence de dispositif propre à soutenir l’emploi local des agents contractuels – désormais agents contractuels de droit public.

L’absence de toute disposition spécifique à la préférence locale dans le texte ne conduit toutefois pas le Conseil Constitutionnel à retenir le grief.

Le Conseil relève au contraire que, puisque le Code du Travail de la Nouvelle-Calédonie contient une disposition générale consacrant le principe de préférence locale, le législateur calédonien n’était pas tenu d’édicter une mesure propre aux agents contractuels.

Au final, c’est donc bien le droit commun du travail, que la loi du Pays avait pourtant pour objet d’éloigner des agents contractuels afin de les rapprocher des fonctionnaires notamment en termes de droits et garanties, qui permet à la catégorie juridique unifiée d’agent contractuel de droit public de voir le jour.

5. Outre le fait que la décision du 1er avril 2021 confirme l’effectivité du contrôle a priori du Conseil Constitutionnel sur les lois du Pays, elle rappelle trois choses importantes :

  • d’une part, une dérogation doit nécessairement être prévue par un texte : la préférence locale, dérogatoire au principe d’égalité, doit donc reposer sur une base législative ;
  • d’autre part, la base législative de la dérogation en question doit présenter un lien suffisant avec la disposition concernée : si le lien entre le Code du Travail et la fonction publique avait été jugé trop distendu, le Code en question peut servir de base légale s’agissant des contractuels de droit public ;
  • de troisième part, l’existence d’une dérogation à valeur constitutionnelle au principe d’égalité dans le domaine de l’accès à l’emploi en Nouvelle-Calédonie n’exclut pas l’obligation, dans ce contexte particulier, d’assurer l’égalité de traitement entre l’emploi privé et l’emploi public.

Le législateur calédonien va devoir tirer les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel avant d’achever la réforme de la fonction publique engagée il y a maintenant six ans.

Gilles ESPECEL

Avocat spécialiste en droit public

OVEREED AARPI

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